Eros en poésie

Choix de textes

 

 

XXème siècle

 



Infographie de Bernard Flucha

 

GUILLAUME APOLLINAIRE (1880-1918)

Voilà de quoi est fait le chant symphonique de l'amour qui bruit dans la
conque de
Vénus
Il y a le chant de l'amour de jadis
Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
Les cris d'amour des mortelles violées par les dieux
Les virilités des héros fabuleux érigés comme des cierges vont et viennent
comme une rumeur obscène
Il y a aussi les cris de folie des bacchantes folles d'amour pour avoir mangé
l'hippomane secrété par la vulve des juments en chaleur
Les cris d'amour des félins dans les jongles
La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales
Le fracas des marées
Le tonnerre des artilleries où la forme obscène des canons accomplit le
terrible amour des peuples
Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté
Et le chant victorieux que les premiers rayons de soleil faisaient chanter à
Memnon l'immobile
Il y a le cri des Sabines au moment de l'enlèvement
Le chant nuptial de la Sulamite
Je suis belle mais noire
Et le hurlement de Jason
Quand il trouva la toison
Et le mortel chant du cygne quand son duvet se pressait entre les cuisses
bleuâtres
de Léda
Il y a le chant de tout l'amour du monde
Il y a entre tes cuisses adorées Madeleine
La rumeur de tout l'amour comme le chant sacré de la mer bruit tout entier
dans le coquillage

* * *

Mon très cher petit Lou je t’aime
Ma chère petite étoile palpitante je t’aime
Corps délicieusement élastique je t’aime
Vulve qui serre comme un casse-noisette je t’aime
Sein gauche si rose et si insolent je t’aime
Sein droit si tendrement rosé je t’aime
Mamelon droit couleur de champagne non champagnisé je t’aime
Mamelon gauche semblable à une bosse du front d’un petit veau qui vient de naître je t’aime
Nymphes hypertrophiées par tes attouchements fréquents je vous aime
Fesses exquisément agiles qui se rejettent bien en arrière je vous aime
Nombril semblable à une lune creuse et sombre je t’aime
Toison claire comme une forêt en hiver je t’aime
Aisselles duvetées comme un cygne naissant je vous aime
Chute des épaules adorablement pure je t’aime
Cuisse au galbe aussi esthétique qu’une colonne de temple antique je t’aime
Oreilles ourlées comme de petits bijoux mexicains je vous aime
Chevelure trempée dans le sang des amours je t’aime
Pieds savants pieds qui se raidissent je vous aime
Reins chevaucheurs reins puissants je vous aime
Taille qui n’a jamais connu le corset taille souple je t’aime
Dos merveilleusement fait et qui s’est courbé pour moi je t’aime
Bouche Ô mes délices ô mon nectar je t’aime
Regard unique regard-étoile je t’aime
Mains dont j’adore les mouvements je vous aime
Nez singulièrement aristocratique je t’aime
Démarche onduleuse et dansante je t’aime
Ô petit Lou je t’aime je t’aime je t’aime.

 



Train de vie
Infographie de Bernard Flucha

 

ROBERT DESNOS (1900-1945)

J'ai tant rêvé de toi

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère ? J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.
Ô balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

 

PAUL ÉLUARD (1895-1952)

Puisqu'il le faut

Dans le lit plein ton corps se simplifie
Sexe liquide univers de liqueur
Liant des flots qui sont autant de corps
Entiers complets de la nuque aux talons
Grappe sans peau grappe-mère en travail
Grappe servile et luisante de sang
Entre les seins les cuisses et les fesses
Régentant l'ombre et creusant la chaleur
Lèvre étendue à l'horizon du lit
Sans une éponge pour happer la nuit
Et sans sommeil pour imiter la mort.

Frapper la femme monstre de sagesse
Captiver l'homme à force de patience
Doucer la femme pour éteindre l'homme
Tout contrefaire afin de tout réduire
Autant rêver d'être seul et aveugle.

Je n'ai de cœur qu'en mon front douloureux.

L'après-midi nous attendions l'orage
Il éclatait lorsque la nuit tombait
Et les abeilles saccageaient la ruche
Puis de nos mains tremblantes maladroites
Nous allumions par habitude un feu
La nuit tournait autour de sa prunelle
Et nous disions je t'aime pour y voir.

Le temps comblé la langue au tiers parfum
Se retenait au bord de chaque bouche
Comme un mourant au bord de son salut
Jouer jouir n'était plus enlacés
Du sol montait un corps bien terre à terre
L'ordre gagnait et le désir pesait
Branche maîtresse n'aimait plus le vent

Par la faute d'un corps sourd
Par la faute d'un corps mort
D'un corps injuste et dément.

 

L'A.B.C. de la récitante

Je compte sur mes yeux un et deux dira-t-elle
Pour voir ce que doit voir l'affalée que je suis
Couchée et nue et chaude au pied du haut miroir
Et mouillée comme un nouveau-né je me pourlèche

Je compte sur mes doigts un deux trois dira-t-elle
La multiplication de mes soupirs profonds
Le sac de mes désirs s'entrouvre sur le lit
Et j'ai le plein soleil dedans avec mon rouge

Je compte sur mon sexe et mes fesses pour tendre
Un piège au plus prudent et à la plus prudente
J'ai du goût pour chacun mais je me tiens en moi
Tapie comme l'alcool dans la main d'un ivrogne

Mes aspects sont variés j'ai des poils j'ai des plumes
Et l'écorce d'un arbre augmente ma peau brune
J'ai de la terre au creux de ma faim je me love
Comme un fleuve sans eau où les baigneurs se noient

Mes talents sont nombreux je sais signer la bête
Et m'alléger d'aurore tout comme une alouette
Je sais faire pleurer les plus indifférents
Et rire bêtement ceux qui se croient malins

J'ai des griffes des crocs j'ai des lèvres d'écaille
Et des lèvres de soie et de miel et de glu
Pour enrober l'azur et sa salive fade
Ma langue sur les bords de la chair se dévoue

Je caresse mes fruits débordants de science
Qui donc pourrai régner hors de mon cœur total
Je sais tout et j'apprends à oublier je tresse
Une énorme couronne à mon ventre à mon sang.

 

PIERRE LOUYS (1870-1925)

La Vulve :

Les Poils

Un rayon du soleil levant caresse et dore
Sa chair marmoréenne et les poils flavescents
O que vous énervez mes doigts adolescents
Grands poils blonds qui vibrez dans un frisson d'aurore.

Quand son corps fatigué fait fléchir les coussins
La touffe délicate éclaire sa peau blanche
Et je crois voir briller d'une clarté moins franche
Sous des cheveux moins blonds la chasteté des seins,

Et sous des cils moins longs les yeux dans leur cemure.
Car ses poils ont grandi dans leur odeur impure
La mousse en est légère et faite d'or vivant

Et j 'y vois les reflets du crépuscule jaune ;
Aussi je veux prier en silence devant
Comme une Byzantine aux pieds d'un saint icône.

 

La Toilette :

Le Lavement des Seins

Qui lavera vos seins magnifiques, maîtresse ?
Quelle main lascive épongera leur splendeur
D'un geste délicat, lent comme une caresse
À les faire exulter de joie et d'impudeur ?

Quel lait de quelle biche qui ne les salisse ?
Quelle douceur de doigt qui ne heurte leur grain ?
Sera-ce votre lait, ô chère ? et votre main,
Qui laveront ce soir leur virginité lisse ?


Lavez-les bien, vos seins; lavez-les, vos seins blancs
Promenez vos doigts fins sur leurs globes tremblants
Et pénétrez-les d'éblouissante lumière

Afin qu'en vos cheveux dont la noirceur reluit
Ils brillent dans leur sérénité coutumière,
Lunes de clarté nue au torse de la Nuit.

 

Le baiser entre les jambes

Tout près du sexe qui fleurit dans les poils roses
Il est pour les amants une place à baisers
C’est là que rêvent les visages épuisés
Et que la cuisses est tendre aux sourires moroses.

Nul duvet , si léger qu’il soit , ne vient ravir
L’extase de la lèvre à la peau qui frissonne
Et la chair fraîche y peut lentement assouvir
Le cruel amoureux qu’un charme passionne.

Plus douce que la joue et pure que les seins,
La cuisse est là si blanche au milieu des coussins
Que la bouche y promène en souriant sa grâce.

Et cherche à ranimer sous les baisers voilés
La trace et le parfum des spermes écoulés
Sur le grain d’une peau voluptueuse et grasse.

 



Infographie de Bernard Flucha

 

JOYCE MANSOUR (1928-1986)

Les machinations aveugles…

Les machinations aveugles de tes mains
Sur mes seins frissonnants
Les mouvements lents de ta langue paralysée
Dans mes oreilles pathétiques
Toute ma beauté noyée dans tes yeux sans prunelle
La mort dans ton ventre qui mange ma cervelle
Tout ceci fait de moi une étrange demoiselle


Fièvre…

Fièvre ton sexe est un crabe
Fièvre les chats se nourrissent à tes mamelles vertes
Fièvre la hâte de tes mouvements de reins
L'avidité de tes muqueuse cannibales
L'étreinte de tes tubes qui tressaillent et qui clament
Déchirent mes doigts de cuir
Arrachent mes pistons
Fièvre éponge mort gonflée de mollesse
Ma bouche court le long de ta ligne d'horizon
Voyageuse sans peur sur une mer de frénésie


Invitez-moi…

Invitez-moi à passer la nuit dans votre bouche
Racontez-moi la jeunesse des rivières
Pressez ma langue contre votre œil de verre
Donnez-moi votre jambe comme nourrice
Et puis dormons frère de mon frère
Car nos baisers meurent plus vite que la nuit


Gibier de macadam

Il y a vos mains dans le moteur
Mes cuisses sur le caisson
Le frein entre mes genoux
Votre chair contre ma peau
Il y a un oiseau sur le ventilateur
Un homme sous les roues
Vos mains dans le moteur
Qui jouent avec un clou
Il y a un cri dans le moteur
Un gendarme et son calepin
Une route dans le rétroviseur
Du vent entre mes genoux
Un colosse sans tête
conduit le véhicule
Ce sont mes mains sur le volant
Mon sexe candide qui implore

 

RENÉE VIVIEN (1877-1909)

Je possède, en mes doigts subtils, le sens du monde
Car le toucher pénètre ainsi que fait la voix;
L'harmonie et le songe et la douleur profonde
Frémissent longuement sur le bout de mes doigts...

Et pareils à ceux-là qui viennent des voyages,
Mes doigts ont parcouru d'infinis horizons.
Ils ont éclairé, mieux que mes yeux, des visages,
Et m'ont prophétisé d'obscures trahisons.

Ils ont connu la peau subtile de la femme
Et ses frissons cruels et ses parfums sournois.
Chair des choses! J'ai cru parfois étreindre une âme
Avec le frôlement prolongé de mes doigts...

Le givre et le brouillard des pâles broderies
Où les tisseuses ont tramé leurs rêveries...
Parèrent savamment ta savante impudeur
Et ton corps où le rut a laissé sa tiédeur.